mardi 8 décembre 2015

chroniques d'un décembre d'abondance

Mot: Qui est à la communication ce que le trombone est à bureautique: on en a toujours besoin et on ne sait jamais où sont ceux que l’on cherche. Et tout comme les humbles trombones, les mots peuvent être déformés jusqu’à perdre leur identité.
Le regretté Paul Melun, dans son incontournable: De Bumplitz à Bellegarde avec un raton laveur sous stéroïdes et trois linguistes Hmong: une étude sur la patience ( 1992, éditions de l’université de Blois, Blois) , a établi quelques catégories propres à dératiser les esprits des idées reçues. Il est intéressant de noter que l’intarissable philosophe aimait l’analogie culinaire jusqu’au dégoût.
Lecteur sensible, te voilà averti.

     Mots basiques: la catégorie comprend les et, les ou, les ( mais pas les houx, ni les roux, dieu me garde) et tous les nombres de un jusqu’à l’infini et au-delà ainsi que les couleurs perçues par les daltoniens les plus fervents.
Le sel et le sucre, inévitables et par souvent trop sollicités par les cuisiniers de médiocre qualité, jusqu’au diabète ou les problèmes rénaux. Les éviter parfaitement, en revanche tient d’un fandango mental qui ferait passer le trépassé Perec pour un cruciverbiste incompétent.

    Mots continents: Ce sont des mots si grands qu’ils peuvent tout contenir: des souvenirs d’enfance, un premier baiser dans la cours de l’école, le premier chagrin, la première défaite, l’ultime victoire. N’importe quel explorateur du dimanche peut y planter son drapeau, qu’il soit biscayen, portugais et même viking. Ketchup, moutarde, beurre et mayonnaise. On peut en mettre partout.
Même sur la raclette.
Pire encore, ils provoquent l’accoutumance. Amour, justice, liberté, tragédie, dieu, destin, et l’indéboulonnable vérité
Bien souvent l’arme secrète du Chef paresseux et vénal, qui sait qu’il ne prend pas beaucoup de risques en en assaisonnant tous ses plats. Des mots catins, victimes dévoyées du manque d’imagination, qui n’ont de saveur pour nos papilles atteintes d’agueusie qu’en doses vomitives.
Ô lecteur, gourmet parmi les gourmets, je t’enjoins à les savourer du bout de la langue, en en étudiant vraiment l’arôme.

    Mots timides:  S’il est vrai que tout mot peu l’être, ceux-là le sont souvent à dessein, sombre s’il en fût. E-112, Ajinomoto, et autres émulsifiants. Ce sont des mots que dédaignerait une fouine poussée dans ses derniers retranchements, mais dont abusent les chefs les plus vicieux, spécialistes des papilles de bois, afin de s’assurer que leurs plats soient totalement dépourvus du moindre goût : regrettable, responsabilité, synergie, rallier et autres unilatéralement. Tous possèdent des synonymes, certains au goût de musc et d’autres au goût de miel, mais comme le disait l’anonyme chasseur de sorcières ( et qui tient à le rester) Vaut mieux un petit amen au deuxième rang qu’un grand oui au premier…On ne sait jamais, vous savez.

   Mots Koalas: Ce sont tous ces mots, relativement rares, qu’on est en droit d’aimer, ou pas, c’est selon. Amarante, réticule, gésier, barbacane, vêpres et autres cowaboungas. Souvent une question de parcimonie et prodigalité:  Vanille, canelle, menthe poivrée, noix de muscade et aulx ; plus souvent encore, une question de compatibilité.
Une minute de silence pour le premier chef qui tenta l’inoubliable coulis de caramel sur huîtres. Erreur, oui, mais pourvue de saveur.
Ô lecteur aventureux , je te laisse deviner laquelle.

    Mots Divas: ceux qui ne peuvent sortir seuls. Ils ont besoin de certains contextes. En leur absence, ils sont aussi incongrus qu’un samouraï dans un fest noz.  Etancher et soif, attirer et chaland, alerte et vieillard ( il n’est pas question ici de canicule). Comme la double crème de gruyère ou les airelles, ils ont leur place, malheur à celui qui leur manque de respect.

    Gros Mots: Erudit, parmi les érudits, je te fais confiance. Ton savoir commence où s’achève la décence. Tout le monde  a besoin d’un peu de poivre de temps à autre.

     Mots précieux: Plus encore que les mots koalas, à n’utiliser qu’en pincées comptées. aji panka, pili-pili, mirchi et safran. Nous entrons ici dans les hautes sphères à l’atmosphère lexicale raréfiée, où chancellent les correcteurs automatiques.  C’est l’heure des hyalin, alliciant, reps et étranges obsidionaux. Les Fugus de la langue. A la louche pour les pédants, il est conseillé d’en user qu’en cuillères à Moka et avec les aliments idoines.

Comme le disait si bien un fin cuisinier d’origine créole: on peut faire un excellent repas de restes et de beurre, nul besoin de raffinement si vous avez le coup de poignet et de bons assistants.  ( A. Dumas, 1844)

Et enfin lecteur, ô frère gourmet, quelques délicieux amuse-gueules d’excellente cuisine à la française:

“Et tout à coup ce fut le silence. Et tout à coup, à l’ombre des longues branches chargées d’épines, il y eut, couronnées de crinières, deux formes inertes: le corps d’un homme et le corps d’un lion. A leur côté, une petite fille se tenait sans mouvement.“
Joseph Kessel, Le Lion,1958.

“L’encre coule, le sang se répand, la feuille buvard
Absorbe l’émotion, sac d’images dans ma mémoire.“

IAM, demain c’est loin, 1998.

“La nuit ne tombe pas sur la mer. Du fond des eaux, qu'un soleil déjà noyé noircit peu à peu de ses cendres épaisses, elle monte au contraire vers le ciel encore pâle. Un court instant, Venus reste solitaire au-dessus des flots noirs. Le temps de fermer les yeux, de les ouvrir, les étoiles pullulent dans la nuit liquide.“
Albert Camus, La mer au plus près, 1953.

“Depuis une bonne heure, Mademoiselle Lilas avait entrepris de transformer Oscar Wilde en une aguichante prostituée, couvrant l’extravagant jeune homme de jupons, de plumeries diverses et variées, apposant mille couleurs autour de ses yeux et de ses lèvres : du bleu vif, du rouge automnal, différents roses pour les joues.
« Par saint Georges ! » hurla Arthur quand un violent frisson, dû au café soi-disant florentin, secoua tout son corps. « Cette boisson est divine !
— N’en abusez pas... », lui murmura à l’oreille Mademoiselle Hué, dont l’accent hongrois et rocailleux avait quelque chose d’étonnamment bestial, «... sinon, dernière goutte pipi faire trou dans botte.“

Thomas Day, l’instinct de l’équarrisseur, 2002.


L’essentiel est toujours de bien choisir une diète diversifiée et céder à ses pêchés mignons. Bafre des mots sans crainte, vorace lecteur.
Celui qui en abuse finit toujours par acquérir du goût, et aucun homme de goût ( ni femme, depuis le concile de Mâcon, hélas.) ne peut-être tout à fait mauvais.

vendredi 20 novembre 2015

Chroniques d'un novembre à l'ombre de l'oiseau rokh

Argent: Placebo du bonheur. Parfois, ô lecteur, il existe des placebos au goût délicieux.

Tolérance: une des composantes du plus savoureux des cocktails. Archibald Trotzdème, l’infant du Disco Fever, le décrit fort bien dans son inévitable Mil breuvages et un café désespéré ( éditions apprendre, partager, disséquer, Agdam, 1983) :

- Trois onces de tolérance. Bien remuer. Glaçons. Deux onces de curiosité… Comment ça à la cuillère ou au shaker? C’est une vraie question?

Quoi qu’il puisse t’arriver n’oublie pas la curiosité.
Ce serait comme de boire du gin sans tonic, du chocapic sans lait, pire encore, ce serait consommer du Fernet Branca tiède, abandonné au soleil de midi dans un misérable gobelet en plastique.
Oui, lecteur, curieux parmi les curieux, tolérance sans curiosité n’est rien d’autre qu’une paresse, enrobée du plus insipide des glaçages: l’auto-complaisance.

Brâme: Cri que partagent les cervidés lors de la période du rut et les voitures aux enjoliveurs chromés, aux flammes improbables et aux ailerons risibles.

vendredi 2 octobre 2015

Chroniques d'un octobre de libellules et d'espoirs

Cité :Nul n'a mieux résolu ce paradigme qu'Archibald Trotdzème, l'arpenteur de lieux, le capitaine de la Mecca, l'archange du Tresor, le batelier du Watergate: l’esprit humain est un objet des plus curieux.
Semblable en beaucoup de points aux cités, ses murs sont de raison et ses meurtrières, d’expérience.
En état de siège permanent pour celui qui ferme ses portes à la nuit tombée, craignant ce qui pourrait pénétrer dans sa tête, ravager les places bien ordonnées de son quotidien, piétiner les parterres de ses jardins bien pensants.
Certains esprits sont cités aux murs revêches, aux gardes méfiants et proprets, aux fontaines immaculées, auxquelles nul ne s’étanche. Les idées doivent y montrer patte blanche, afficher leur qualité d’étrangères, porter crécelles, étoiles, voiles et passe-droits.
D’autres sont cités de carnaval, assemblage incessant de tentes, aux pavés de poussière, aux places bruyantes, aux faces épanouies, aux cartes inexistantes. Esprits endossant ce qui tombe de toute table, changeant leurs couleurs au gré des vents, bouges catins vendant leur drapeau à l’encan.
Beaucoup sont des bourgades aimables, accueillant volontiers les idées étrangères à l’aune de leur fortune, aux maisons étroites, aux gardes souriants, parés de hallebardes bienveillantes.
Et oui, il est des cités qui se fuient elles-mêmes.
Des cités armées de périf's, des cités qui laissent glisser sur elles-mêmes les idées, comme la pluie sur la barbe d'un mineur auvergnat, imperméables au changement, comme à l'échange. Des cités abreuvées d'écrans, de néons, de twits, de chats, de blogs de spams, de buzz et d'or des fous. Sol Star et E.B Farnum en rient encore.
On le dit des vieilles cités, mais pas de toutes. Lyon, La Paz, Prague, ont su embarquer les futurs éons, sans oublier qui elles sont. D'autres s'oublient, comme un vieillard dans des couches discutables. Il n'est point de reproche possible. La vie s'en charge elle-même.
Il est des Jérusalem célestes, au tracé parfait, aux ruelles dépourvues d'ombre. Méfie-toi, lecteur, autant que de l'homme qui ne craint qu' un seul livre,  car il n'est de pire lieu qu'un paradis hors de tes espérances. Les vitraux fixes ne laissent que peu de place à la dissidence, et moins encore à l'imaginaire.
Oui, lecteur, personne ne se souhaite une Brasilia embrasée de rêves étrangers, et moins encore une Babylone damée des aspirations d'autres. Entre héritage et nouveauté, à chacun venu, comme toujours, la découverte ou l'ignorance.