Peur: Certains la voient bleue. C’est avant tout une méduse, qui flotte, languide, souple. Elle s’empare d’abord du bas-ventre. Ses filaments sont longs et vibrent sans cesse, provoquent des fourmis, mais pas du genre agréable, non. Ils alourdissent l’estomac, puis remontent, le long de l’oesophage, enserrent la gorge, montent jusqu’au cerveau, y déposent des oeufs de et si…
Elle fait transpirer, rance, trempe le front de sueur graisseuse, qui n’a aucun rapport avec l’effort. La respiration s’accélère. On s’en moque, trop occupés à lutter contre l’éclosion des conditionnels dans le fond du cervelet. Elle ne meurt pas, jamais, vraiment. Comme les sorbets d’une gelatteria, il en existe à tout les parfums et en toutes tailles:
Il y a la petite, fugace, à peine un spasme, lorsque le pas est trop près du vide.
Il y a celle, molle et puissante, qui pousse dans les ruelles la nuit, sur les pas en échos, dans les fourrés obscurs, au fond des placards et sous les lits des enfants.
Il y a l’espèce pernicieuse, qui naît des menaces et des non-dits, minuscule, mais aux filaments interminables, qui se prolongent dans le futur.
Et finalement, la reine de toutes, paralysante, au poison mortel pour l’âme. Celle qui vient avec le cercueil et le tombeau, le bonneteau du dernier seuil. On la porte en soi comme un kyste, qui chaque jour grandit un peu. Parfois, on l’oublie et cela se nomme bonheur, mais quand il nous abandonne, elle demeure, patiente. On lutte contre elle, toujours, on la nie, mais son reflet est dans les rides, sa cohorte défile sur l’écran de la télévision, vicieuse conspiration de miroirs, dans chaque accident, chaque attentat. On la contemple, fascinés comme le hérisson face au trente tonnes, l’oie au gavage. On la fuit mais elle nous colle aux semelles. On l’endort, mais sa face aveugle attend. Un vieillard défuncte: elle s’éveille truculente et nous ausculte les boyaux, retombe inerte, jusqu’au prochain décès, prête à nous rappeler le nôtre.
Oui, l’Irukandji de toutes les trouilles: la peur de mourir.
Hôtel: Lieu où, en échange de valeurs sonnantes ou digitales, il sera fourni: une entrée sans paillasson, un lit sans mémoire, une chambre sans cuisine.
- Bienvenus chez moi!
Paul Erdös
Microcosme qui évoque le paquebot sans se déplacer, la prison sans les barreaux, l'hôpital sans les médecins et la garnison sans la diane. Il possède ses scélérats et ses héros, ses légendes et ses faits d'armes.
Comme beaucoup de théâtres de cette vaste et sublime comédie de l'existence, il possède la forme des icebergs et des fourmilières. Croyez-moi, cher lecteur, faites-vous ponériné ou pingouin, le temps d'une saison, afin de profiter pleinement des coulisses.
Là, se jouent des pièces à faire pâlir d'envie Corneille et Machiavel tout d'un et dont les intrigues feraient de Macbeth un livre d'heures d'une vieille dame pieuse.